LATIN: César et le pouvoir

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Vercingétorix jette ses armes devant César Tableau de L. Royer 1888

 

  • CONTEXTE:

A la fin de la Guerre des Gaules, Jules César parvient à bloquer la cavalerie gauloise et son chef Vercingétorix dans l'oppidum d'Alesia. Le général romain fait construire un ensemble fortifié qui enferme les assiégés dans leur forteresse. Au bout de 6 semaines, et après l'échec d'une armée de secours gauloise, Vercingétorix et les siens doivent se rendre.

 

  • L'ANECDOTE:

Tout est perdu pour les défenseurs d'Alésia. Vercingétorix réunit les siens et se justifie d'avoir fait cette guerre non pas pour son intérêt mais pour la liberté de tous. Décidant de se sacrifier, il s'en remet alors à leur décision : le livrer ou pas pour apaiser la colère du vainqueur... et s'ils décident de le livrer, sera-t-il mort ou vif? On demande ses exigences à César qui réclame la reddition des chefs avec leurs armes.

            Paré comme pour une fête, Vercingétorix quitte Alésia et pénètre dans le camp romain. Son allure fière et digne en impose aux cohortes de légionnaires alignées. Il fait avec son cheval le tour de l'estrade où se tient César puis met pied à terre. Sans un mot, il jette avec dédain ses armes (épée, javelot et casque) au pied de son vainqueur.

 

César, d'abord surpris, retrouve ses esprits et accable le chef gaulois de reproches à propos de la trahison de leur ancienne amitié ; puis les légionnaires se saisissent de Vercingétorix et l'emmènent vers son triste destin.

 

  • VÉRITÉ OU RÉCIT ENJOLIVÉ ?

Les deux versions de la rencontre entre Vercingétorix et César :

 

César écrit : «César ordonne que les armes soient rendues, que les chefs soient conduits à lui. Lui-même s’assied dans le retranchement, devant le camp. Les chefs y sont conduits. Vercingétorix se rend. Les Eduens et les Arvernes furent mis à part, pour le cas où il pourrait, grâce à eux, reprendre des villes. Les autres captifs sont distribués à toute l’armée comme butin, à raison d’un prisonnier par personne».

 

C’est plus romanesque chez Plutarque (Vie de César) et c’est cette image que l’on a conservée :«Les assiégés, après s’être donné bien du mal à eux-mêmes et en avoir donné beaucoup à César, finirent par se rendre. Vercingétorix, qui avait été l’âme de toute cette guerre, fit parer son cheval, prit ses plus belles armes et sortit ainsi de la ville. Puis, après avoir fait caracoler son cheval autour de César, qui était assis, il mit pied à terre, jeta toutes ses armes et alla s’asseoir aux pieds de César où il se tint en silence, jusqu’au moment où César le remit à ses gardes en vue de son triomphe».

Les renseignements d'ordre historique que Plutarque a rassemblé dans ses ouvrages sont très précieux concernant le siège d'Alésia, mais ont suscité de nombreux débats parce qu'ils comportent des précisions que ne fournissent pas les textes de César.

*L'anecdote telle que reprise par la tradition scolaire est celle relatée par Dion Cassius et Plutarque, qui s'inspiraient probablement d'un texte perdu de Tite-Live. Elle diffère du récit beaucoup plus concis et moins romantique fait par César dans son livre : les chefs sont amenés captifs devant César, les armes sont jetées au pied du vainqueur, sans plus.

 

Les historiens se sont demandés si les chroniqueurs tenants de la version romantique et pathétique n'avaient pas enjolivé pour rendre tout cela plus captivant. Cependant les spécialistes relèvent plusieurs éléments culturellement typiquement celtiques dans le récit (le principe de victime expiatoire sacrifiée pour sauver la communauté, le contournement à cheval par la droite qui était supposé lier magiquement la cible) que les vénérables chroniqueurs romains auraient bien été en peine d'inventer.

 

Albert Grenier (ancien professeur au Collège de France et spécialiste des gaulois) la tient donc pour authentique, je suis enclin à le croire !

 

  • POURQUOI CETTE CÉLÉBRITÉ ?

Vercingétorix, héros national... seulement depuis le XIXème siècle

Vercingétorix est resté pendant longtemps un héros méconnu voire oublié. L'histoire officielle de l'Ancien Régime commençait avec les francs et Clovis ; les prédécesseurs romains, ou pire gaulois, n'intéressaient pas car ils n'apportaient rien à la légitimité et la gloire du système monarchique.

 

Le héros gaulois va revenir à la mode à la fin du XIXème siècle pour deux raisons liées au contexte politique et social de l'époque :

                       

Statue Vercingetorix Alesia            La France du second Empire vient d'être écrasée par la Prusse en 1870. Elle a subi les humiliations de la défaite de Sedan, de l'occupation du pays, de la proclamation de l'Empire Allemand dans la galerie des glaces de Versailles et de l'annexion de l'Alsace et la Lorraine par l'Allemagne. Dans ce contexte d'honneur meurtri et revanchard, la propagande officielle est à la recherche de héros montrant qu'on peut être grand dans la défaite.

La République vient de remplacer l'Empire. Le contexte politique est houleux entre les tendances républicaines, les monarchistes et les bonapartistes ; l'une des principales pommes de discorde est la question de l'association de l'Eglise et de l'Etat. Là encore la propagande officielle (qui passe par la toute nouvelle école publique obligatoire de Jules Ferry), républicaine et plutôt anti-cléricale, cherche à valoriser des héros nationaux liés ni à l'Eglise ni à la monarchie. Si l'on gomme les prétentions de Vercingétorix à la royauté arverne, il répond complètement à ses deux impératifs. La Troisième République, instrumentalise donc Vercingétorix en insistant sur son rôle héroïque de résistant à l'envahisseur et symbole de ce qui fait l'essence française. Cette propagande est destinée à exalter le patriotisme des Français en exacerbant le sentiment de revanche après la défaite de 1870 contre l'Allemagne fraîchement unifiée derrière la Prusse. L'image du patriote gaulois qui se lève contre l'envahisseur est magnifiée par les manuels scolaires, dont le Lavisse : « La Gaule fut conquise par les Romains, malgré la vaillante défense du Gaulois Vercingétorix qui est le premier héros de notre histoire

La popularité de la reddition de Vercingétorix a donc pour origine une volonté de glorifier un héros laïc, non compromis avec le pouvoir monarchique capétien et grand même dans la défaite totale. Les causes motivant cette volonté ont disparu depuis longtemps (l'Eglise et l'Etat sont séparés depuis un siècle, et les monarchistes et les bonapartistes ne sont plus que quelques originaux sans poids politiques) mais la reddition demeure un des clichés les plus connus de notre histoire.

Vercingétorix apparaît donc comme l'homme de la situation : la toute nouvelle école publique obligatoire de Jules Ferry va contribuer à populariser ce héros providentiel ... qui attendait cela depuis presque 2000 ans !

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